"Gainsbourg", un biopic pas vraiment héroïque...

Réaliser un long métrage autour de Serge Gainsbourg. Évoquer en un film l'homme, son enfance, son évolution, son talent, ses inspirations, sa carrière, ses amours, et même sa conscience... Un projet alléchant, attendu, fantasmé par tous ceux qui sont fascinés par les textes et la vie de l'homme à la tête de chou. Et il y en a beaucoup.



Le dessinateur Joann Sfar s'est jeté à cœur perdu dans l'entreprise avec Gainsbourg (vie héroïque) (voir la bande-annonce), au point de s'y perdre totalement. Un sujet sans doute trop riche et trop ambitieux pour un premier film, si bien que le jeune réalisateur n'a pu se retenir du pire : se regarder filmer, imposer une omniprésence au lieu de s'effacer derrière son sujet (la question de l'auteur doit être mesurée), tomber littéralement amoureux de ses plans, esthétiques et agréables - signé du chef op' Guillaume Shiffman (beau travail aussi sur OSS 117) - mais qui font que son ambition initiale se transforme très vite en prétention. Gênant.

Sa subjectivité est un parti-pris assumé, mais qui est rapidement trop pesant. Pour narrer la dichotomie de Gainsbourg, Joann Sfar y va à la truelle, n'hésitant pas à faire intervenir rapidement la marionnette Gainsbarre, la conscience du génie qui allait dans une dernière scène insupportable narrativement fondre sur son personnage, prendre le dessus et le faire basculer vers une autodestruction inévitable. Là où un film comme La Môme, certes très populaire, réussissait malgré tout à insuffler une légèreté et une poésie dans certaines scènes, ici, il n'en est rien. Un comble.

Alors oui, nous avons des frissons lorsque Lætitia Casta, époustouflante de présence, arrive dans un couloir en se déhanchant au rythme de Initials B.B. On est ému lorsqu'Eric Elmosnino, au premier plan et au téléphone, focalise l'attention alors que nous apercevons pour la première fois la grâce de Lucy Gordon descendre les marches juste derrière, floutée, de dos. On sourit à l'idée de faire parler le chat (du rabbin) lors de la rencontre avec Anna Mouglalis. Trois instants volés. Trois scènes qui sont les trois prémices aux histoires d'amour marquantes de sa vie. Trois moments clés qui auraient dû être à l'image du film. Oniriques et réels. Un paradoxe perpétuel.

On a l'impression que Joann Sfar s'est juste fait plaisir. Il s'est fait plaisir à filmer de superbes femmes, la plupart du temps nues. Il s'est fait plaisir à les voler, sa caméra caressant sans cesse leur nudité. Il s'est fait plaisir à mettre la plus belle musique contemporaine sur ces corps offerts mais toujours en mouvement, comme si eux-mêmes souhaitaient fuir la situation.

Cette omniprésence agace et gâche le plaisir que l'on espérait, auquel on s'était accroché. Symbolisé à chaque instant - que ce soit à travers les marionnettes, les dessins, le générique, les coups de pinceau -, Joann Sfar est partout, au point de cacher Gainsbourg. Partout, au point qu'il s'est lui-même dédié un cameo (inutile) : Dans une salle de concert, à peine grimé en Georges Brassens, Joann Sfar reprend en play-back le formidable J'ai rendez-vous avec vous.
Gainsbourg (vie héroïque) est un rendez-vous raté.

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